dimanche 3 juin 2012

Le diapason en musique : «Du diapason mouvant au diapason fixe ».



Par José Daniel Touroude.




Pendant des milliers d'années, les hommes  se sont guidés avec leur  diapason naturel à savoir leur chant. Certains chantaient juste et avaient l'oreille absolue.
Qu'est-ce que l'oreille absolue ?
L'oreille absolue reconnaît et nomme instantanément une note de musique dans une échelle sonore donnée sans aucune comparaison avec une note de référence.
« J'entends un bruit et je sais que c'est un sol# 3 ».
Bien entendu, les oreilles d'un africain, d'un chanteur de ragas indou, d'une chanteuse japonaise traditionnelle, d'un chanteur de blues ou d'opéra ne sont pas superposables du point de vue du "diapason".
Leurs repères ne sont pas identiques car l'oreille est codée par la culture dont elle est issue.
L'oreille absolue ne peut se développer que pour un diapason donné, quelle que soit sa valeur, pourvu qu'il reste toujours le même.
Il y aurait donc autant de diapasons et d'oreilles absolues qu'il y a de cultures musicales.
La musique traditionnelle du globe a donc elle aussi ses diapasons. 
Les Grecs anciens auraient peut-être eu, à l'égal des chinois une échelle de référence tonale donnant les tons de la gamme ou modes.  
La musique occidentale a fait du diapason un outil incontournable extérieur à l'oreille, avec la branche de métal que nous connaissons si bien, comme élément fondateur d'accords.

Diapason à deux branches. La 440.


C'est un outil musical, qui donne une note de référence, un "la", pour que les musiciens et leurs instruments puissent s'accorder ensemble en parfaite intelligence. 

En Chine ancienne aussi, cet immense empire était organisé par un ensemble de règles rituelles et bien sûr, la musique était elle aussi soumise à des codes stricts.
Les chinois inventèrent leur diapason : le "Liu", ensemble de cloches ou de bambous sonores servant d'étalons pour accorder les instruments destinés à accompagner les innombrables rites de cette civilisation.

Pour n'importe quel musicien, de tous temps, une simple oreille relative douée d'une bonne mémoire des intervalles et des airs, permet de jouer toutes les musiques possibles. Une première note est émise par la voix, un instrument, un diapason et le reste suit…

Le chant grégorien.

Tous les musiciens ne pratiquent pas l'écriture des sons, loin s'en faut.

C'est pourtant par l'instauration progressive d'une écriture de la musique que la nécessité impérieuse d'une sorte de diapason primitif va peu à peu se faire sentir.

L'écriture musicale, au Moyen-Âge est restreinte à quelques neumes (petits signes graphiques) notés sur les manuscrits à chanter, qui servaient de guide pour les inflexions de la voix.

Copie d'un chant Grégorien noté en neumes

Le clavier primitif, celui de l'orgue - le seul instrument plus ou moins toléré par l'église d'alors - servait d'appui tonal.
C'est sans doute au départ de cet instrument que furent mise en correspondance les lettres de l'alphabet et les sons.
Chaque touche de l'orgue portait le nom d'une lettre : A, B, C etc.
On adjoignait une syllabe à chaque lettre, selon les intervalles mélodiques, et ainsi pouvait s'établir un solfège - tout à fait provisoire - à l'aide de ces syllabes.
La lettre C du clavier servait de point de départ. Peu importait qu'il correspondît à un do actuel, ou à un mi.  C restait la clé tonale de référence.
(On a gardé trace de cette influence des lettres, le" C " en armure de la mesure à 4 temps)
Considérons " C " comme un premier diapason, mais sans hauteur précise.
Un diapason flottant, en somme...

L’invention de l’écriture musicale en occident.

Gravure représentant Guido d'Arezzo.

Guy d'Arezzo, l'inventeur de notre ut, ré, mi, fa, sol, la, si se basa sur un hymne à Saint Jean-Baptiste  pour nommer les notes :

Ut queant laxis / Resonare fibris /Mira gestorum / Famuli tuorum / Solve polluti / Labii reatum / Sancte Johannes.
Traduction : " Pour que puissent résonner sur les cordes détendues de nos lèvres les merveilles de tes actions, enlève le péché de ton impur serviteur, ô Saint Jean."
Si vous voulez écouter l'hymne dédié à Saint Jean Baptiste.

Ce sont les 7 premières syllabes de chaque verset que D'Arezzo a sélectionné pour nommer les 7 notes de la gamme. 

Plaque sur la maison natale de Guido d'Arezzo.

Au dix-huitième siècle, Les  anglo-saxons s'attribuaient le système des lettres : A, B, C, D... et les latins, les syllabes : ut, ré, mi...
L'Europe musicale avait deux systèmes différents et "inaccordables", en apparence du moins !
Les latins donnèrent aux syllabes "do ré mi fa..." la valeur qu'avaient les lettres afin d'établir enfin une corrélation entre les deux systèmes.
Il leur fallait désigner une fois pour toutes les touches correspondant à l'ancien "heptacorde naturel": C=Ut, D=Ré, E=Mi, F=Fa, G=Sol, A=La, B=Si.

Différentes marques de clarinettes entre 1800 et 1850 dont la tonalité est indiquée soit par des lettres ou des notes.

Notre "diapason fixe" en métal est inventé par l'anglais John Shore en 1711.
(Il existe également le diapason à vent, un ou deux petits tuyaux de métal couplés, très pratiques car audible immédiatement quand on souffle dedans.)
Comme après 1859, la hauteur absolue des touches se vit normalisée par l'invention du "diapason" fixe, il en résulta que les syllabes (ut, ré, mi...) prirent à leur tour, aux yeux de la plupart des musiciens, un sens de hauteur absolue qu'elles n'avaient nullement auparavant, et qu'il ne resta plus aucun moyen distinct de solfier en hauteur relative.

 Dans un tout autre domaine, les facteurs d'instruments à vent utilisent le terme "diapason" pour caractériser le rapport entre le diamètre (la perce) et la longueur des tubes de leurs instruments.
Ainsi, un "diapason" large correspond à une sonorité ample et plutôt ronde.
Certains orgues et harmoniums ont même un registre portant ce nom.


Voyons maintenant le mode d'accordage de l'orchestre d'avant le diapason fixe.

La difficulté résidait dans le fait que les instruments avaient tous des tons différents et devaient par conséquent s'accorder à un instrument de référence au plus près de leurs tonalités respectives. L'instrument témoin était le plus souvent le hautbois.


Caricature d'un hautboïste célébre : Marcel Tabuteau.

Un accord général finissait par fonctionner plus ou moins mais on serait certainement étonnés du degré d'hétérogénéité des timbres dans les orchestres de ces temps-là ... (Bach se plaignait déjà et souvent que ses musiciens jouaient faux !)
Finalement, on convint de prendre A à savoir "La" comme référence.  
Mais comme on ne disposait d'aucun moyen de le codifier objectivement, on se contenta d'une zone flottante dans la périphérie du La.
Dès l'invention de l'objet "diapason", on se trouvera avec des variables de hauteurs parfois impressionnantes d'un pays à l'autre et souvent au sein d'un même pays, d’un orchestre à un autre.
En somme avec le diapason flottant, chacun n'en faisait qu'à son oreille.
Pour les uns, c'était trop bas ! pour d'autres, c’était trop haut !
Les pauvres musiciens itinérants devaient changer d’instruments pour s’adapter aux différents diapasons ou transposer !
A Paris : Pour les baroques le diapason est à 415 Hz !
Le diapason en vigueur continuait de monter et s'établit en 1810 à 423 Hz puis en 1823 à 431,3 Hz puis en 1830 à 435,75 Hz avant de se stabiliser au début du 20ème siècle à 440 Hz.
A Londres : Le diapason en vigueur continue lui aussi de monter et s'établit en 1815 à 423 Hz (Royal Philharmonic Society) puis en 1826 à 433 Hz puis en 1874 à 455 Hz, avant de se stabiliser au début du 20ème siècle à 451 Hz
A New-York 1880 : 475 Hz (chez Steinway) puis les USA vont se stabiliser au début du 20ème siècle à 445 Hz.
En Autriche à 460,85 Hz etc…  
Nous pourrions multiplier les exemples avec les hauteurs fluctuantes de diapasons à Moscou, Vienne, Prague etc... et c'étaient les diapasons officiels !

En fait souvent chaque orchestre s'accordait selon son bon plaisir !

Une interrogation personnelle : Mozart qui avait l'oreille absolue et pour qui chaque tonalité avait une couleur bien spécifique entendait, selon certains, le diapason autour de 420. 
Il a composé son concerto pour clarinette en La majeur en fonction de ce diapason.
Il pourrait difficilement entendre ce même concerto jouer au diapason 440 voire 442 comme actuellement soit plus d'un quart de ton au dessus ! 
La musique baroque essaie de retrouver la sensibilité  et le diapason avec les instruments  d'époque.

Ainsi les clavecins s'accordent actuellement entre 415 et 435 Hz.

Certaines clarinettes anciennes varient entre 420 et 460.



Face à cette anarchie et cette cacophonie, une normalisation internationale s'est effectuée mais il a fallu longtemps pour un consensus.

Ce n'est qu’avec la conférence internationale de Londres de 1953, que sera fixée la hauteur du diapason à 440 Hz, à la température de 20 degrés centigrades.

(La chaleur modifie la hauteur des notes, détail bien connu des instrumentistes à vent et il est important de mentionner ce paramètre)



Ainsi le diapason actuel officiellement est de 440 mais parfois la tendance à monter continue et on entend de plus en plus souvent des concerts accordés à 442 Hz !

Jouer plus vite, plus haut, plus fort n’est-ce pas une tendance difficile à maitriser ?