samedi 3 août 2013

Clarinette Mi bémol de Zalud à Térézin : un instrument chargé d'histoire.

Clarinette Zalud à Térézin Mi bémol, 15 clés. (Collection José Daniel Touroude)
 Caractéristiques Spécifiques.
Cette clarinette est  assez banale et typique de la facture allemande après Müller, elle a15 clés, mais c’est surtout son histoire qui présente un intérêt. Collectionner des clarinettes ouvre parfois des portes très différentes….
Historique.
 
Elle est signée sur tous les corps" Zalud à Térézin (Tchéquie)/Thora/Es (Mi bémol)"
 
 
Il s'agit d'un instrument de Franz Wenzel ZALUD dernier membre de la famille disparu vers 1940.
L'atelier de la famille ZALUD a été crée par Wenzel ZALUD (1803-1881) à Neustraschitz en Tchéquie, prés de Prague, au début du 19 iéme siècle. Formé par Franz CZERMARK (1765-1841), il avait trois fils Josef ZALUD qui succéda à son père, mais qui décéda très rapidement, Franz ZALUD (1840-1904) qui créa l'atelier de Theresienstadt (Térézin), et Edouard ZALUD (1848-1911) qui s'installa à Prague. Franz ZALUD, créateur de l'atelier de Térézin avait été formé par Karl STECHER (1820-1904) de Vienne en Autriche, il était spécialiste du cor de basset et faisait également des percussions.

Clarinette Zalud du Musée de Bruxelles. (MIM)
 En 1904 son fils Paul ZALUD (1864-1931) lui succède et modernisa l'entreprise, qui fabriqua et commercialisa tous les instruments de musique. En 1931 c'est Franz Wenzel ZALUD qui prend la suite jusqu'en 1940.....
 
Entrée du camp d'extermination de Térézin
Or quand les nazis occupèrent Terezin, la gestapo de Heydrich transforma le fort de cette ville en un camp de concentration et d’extermination réservé aux artistes et aux juifs mais avec l’objectif aussi de servir la propagande de Goebbels. Ainsi le camp se présentait comme un décor de cinéma, montrant un village accueillant avec des maisons, des magasins et des fêtes et concerts utilisant les artistes enfermés. Les instruments de musique provenaient entre autres du magasin de Zalud. Ces concerts étaient filmés par le service de propagande nazi pour montrer les bonnes conditions de vie des prisonniers.
 
 
La croix rouge internationale, enfin admise une fois , fut mystifiée ! Derrière le décor, et une fois les concerts et films terminés, il y avait les chambres à gaz et les convois pour Auschwitz… 144 000 personnes furent enfermées dont certains français, 19 000 survécurent. La famille Zalud, disparut évidemment pendant cette période.
 
Cette clarinette a été retrouvée enterrée dans une couverture ou capote militaire dans une cave de particulier à Terezin. Qui l’a enterrée et cachée ?  Elle était en mauvais état mais a pu être restaurée, pas pour sa valeur, ni sa spécificité rare mais comme témoignage d’une renaissance possible même pour des objets malmenés par les hommes.


Description et caractéristiques de l'instrument.
 
Fabriqué dans les années 1930, l'instrument est en ébène et composé de 5 parties : bec, barillet, corps supérieur, corps inférieur, pavillon. Il comporte 22 trous dont 15 bouchés par 15 clés en maillechort. Ses dimensions sont :
Longueur avec le bec 45 cm, ce qui est court pour une clarinette Mi bémol.
Diamètre intérieur de la perce 12 mm
Diamètre intérieur du pavillon 42 mm
Poids de l'instrument avec le bec 400 g.
Les clés sont en maillechort, rondes et plates en «chapeau chinois» et sont articulées par des axes (et non des vis à la française) en maillechort à travers des charnières tenues par des boules vissées dans le bois de la clarinette. Les ressorts sont en acier et rivetés sur les clés mais il y a aussi des ressorts à aiguille (inventés par le français Buffet et vite adoptés en Allemagne). Les anneaux sont situés sur le corps du bas (Müller-Sax) et sur le corps du haut. 




Trou sous la clé de G1

Il y a aussi un petit trou sous la clé de G1 (clé de la pour une clarinette sib) bouché par une clé ronde qui prolonge les anneaux pour améliorer la justesse et la résonance (procédé que nous retrouverons souvent dans les clarinettes allemandes notamment chez Oehler).

Rouleaux en bakélite.

Les 4 roulettes en bakélite noir sont imbriquées dans les clés du corps du bas et du haut afin de pouvoir glisser rapidement d'une clé à une autre. Les rouleaux ont été inventés par le clarinettiste français Janssens en 1823 mais ont été utilisés dans la facture allemande, les français avec la clarinette Boehm n'ayant plus besoin de glisser. Les tampons en cuir sont d'origine pour certains , d'autres ont été changés. Le pavillon est cerclé d'une bague en maillechort et renforcent les tenons. Le bec en ébène est d'origine et signé Zalud Terezin avec des stries pour fixer la ficelle à l'allemande. Il est court et les anches doivent être taillées, celles du commerce, standard sont trop longues. 
Corps du bas.

 État et conservation.

L'état est redevenu  correct. Les clés cassées ont été ressoudées. Certains tampons, lièges, ressorts ont été changés. Aucune fente malgré son enterrement (la perce et les cheminées étaient remplies de feutrine verdâtre et de terre calcaire sèche. Elle était sale et oxydée mais rien n’a été abîmé). La clarinette est jouable actuellement  (pour jouer du Klezmer ?  ironie de l’histoire !) mais a encore des problèmes de bouchage car il faudrait remplacer les tampons d’époque par des neufs.
Origine. 

Achetée en 2011 à très bas prix, à un particulier allemand qui l’a trouvée dans la cave chez son grand père et qui voulait s’en débarrasser (histoire trop chargée ?)  et paraissait satisfait que je la restaure (devoir de mémoire ?) …
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"Objets inanimés avez-vous donc une âme ?" Comme l'écrivait Lamartine.