mercredi 14 décembre 2016

"1936 : Une année phare pour la Maison Selmer : Création du saxophone Balanced Action et succès de la Guitare Selmer Jazz Maccaferi". "1936: A flagship year for the Maison Selmer: Creation of the saxophone Balanced Action and success of the Selmer Jazz Maccaferi Guitar".

En fouillant dans mon tas de vieux documents j'ai retrouvé ce catalogue Selmer de 1936, particulièrement intéressant pour l'histoire du Jazz, du saxophone et de la guitare. 













Ce beau document de 48 pages, commence bien entendu par une belle photo du créateur de l'entreprise : Henri SELMER (1858-1941).
Il est vrai que nous avions évoqué dans un de nos premiers articles, les origines lorraine de cette famille : Les origines Lorraine de la famille Selmer.  Cliquez sur le lien pour voir cet article.

Un très joli film réalisée par la société Selmer pour fêter ses 130 années d'existence permet de nous replonger dans la formidable épopée de cette firme.

Dans ce catalogue on découvre les saxophones "Radio Improved" qui continuaient d'être vendus en 1936. Le Radio improved, spécialement mise au point pour les enregistrements de disques et à la radio, qui se développaient à cette époque  fabriqué de 1934 à 1935 (N° 18701 à 21750) fait partie  comme le "Cigar Cutter", fabriqué de 1931 à 1939 (N°14000 à 28000) de la série Super Saxe Selmer marquée "SSS".
Page du catalogue Selmer de 1936 consacré aux saxophones.
Modèles de la série SSS fabriqués avant 1936.
Cliquez sur les photos pour les agrandir.
Saxe ténor "Radio Improved" de 1934. On voit les différences avec les
Saxes qui vont lui succéder (Gardes des clés, lien entre pavillon et corps , bloc des
clés main gauche pour le petit doigt.....). (Source www.dcsax.com)
Le Balanced Action.

Sortie en 1936 ce modèle de Selmer est considéré comme le premier saxophone moderne ; complètement redessiné son clétage lui donne un équilibre parfait d'où son nom "Balanced Action". La perce plus grosse de l'instrument et le plus grand diamètre du pavillon lui donne un "son" reconnu par les plus grands jazzmen de l'époque. C'est en 1934 que le "pére" du saxophone de Jazz : Coleman Hawkins en tournée en Europe croise la route d'Henri Selmer et de ses saxophones. Il adopte tout de suite le  ténor balanced action qu'il jouera pratiquement pendant toute sa carrière.
Coleman Hawkins et Miles Davis.
Ce grand musicien est très connu pour  son fameux enregistrement de "Body and Soul"  réalisé le 11 octobre 1939. Sur de nombreux forums consacrés au jazz ou au saxophone, on pose régulièrement la question "Quel saxophone jouait le "Bean" (son surnom) dans cet enregistrement mythique?"......Avant de vous donner la réponse (évidente), je vous laisse regarder la photo ci-dessus d'Hawkins et d'essayer de trouver des caractéristiques de son ténor qui permettent de donner sa marque, son modèle....et cela en écoutant Body and Soul. (Cliquez sur la photo pour l'agrandir)
A la dernière vente d'instruments de musique de Vichy du 10 décembre dernier,  4 exemplaires de Balanced Action étaient proposés (3 ténors et un alto), ainsi qu'un ténor Super Balanced Action et des Mark VI....C'était une bonne occasion de  regarder de plus près ces Balanced Acion. 

1. Les clès de Sib et Si grave passent et basculent sur la partie droite de l'instrument. (voir photo de Hawkins). (caractéristiques retrouvés depuis sur tous les saxophones MVI, Super Balanced....)
Ténor BA de 1944. (Vichy)
2. Les gardes Si et Sib sont distinctes. A la fin de la production il y aura une garde unique pour les deux clés, caractéristique gardée pour les modèles suivant SBA, MVI ......

3. Groupe de spatules, redessiné main gauche pour le petit doigt. Ce point sera revu pratiquement lors de l'introduction de chaque nouveau modèle, Cigare Cutter, Super balanced, MVI, MVII....car c'est une difficulté à résoudre encore actuellement.

Groupe de spatules main gauche d'un ténor BA Selmer de 1944. (Vichy)
4. Fixation nouvelle entre le pavillon et le tube. Ce type de fixation équipera le SBA et le MVI, pour évoluer avec le MVII avec une fixation à 3 points.
Système de fixation entre pavillon et tube.
Ténor BA Selmer de 1947. (Vichy)
Le Balanced action était proposé dans deux versions : avec un pavillon long qui lui donnait plus de justesse mais plus difficile à maîtriser et avec un pavillon court plus facile dans l'émission mais qui avait des problèmes de justesse dans le grave. 

5. Le Fa dièse aigu est proposé pour la première fois en option et étend donc la tessiture de l'instrument.
Catalogue Selmer de 1936. (Collection RP)
6. Asymétrie du support de la clé de bocal, adaptée à la position du jeu de coté privilégié à l'époque.
Bocal d'un ténor BA Selmer de 1944. (Source Vichy)
7. Clés main droite pour le petit doigt, de forme nouvelle.

Clés main droite pour petit doigt d'un ténor BA Selmer de 1945.
(Source Vichy)
A noter que durant la seconde guerre mondiale, Selmer a rencontré des problèmes pour l'approvisionnement du laiton et de la nacre pour les boutons de spatules qui sera remplacée par de la bakélite noire. (Photo ci-dessus et dessous) Selon le site de Selmer (voir le site) certains instruments Balanced Action auraient des numéros différents sur le pavillon et le corps. Il faut privilégié le numéro du pavillon pour en savoir l'année.
Spatules main gauche avec touches en bakélite noire sur un ténor
BA de Selmer de 1945. (Vichy)
Catalogue Selmer de 1936, alto Balanced  Action.
8. Toutes les gardes des clés sont redessinées. Gardes dont le design sera conservé pour les modèles suivants. (Voir les différentes illustrations précédentes)

Catalogue Selmer de 1936. BA pour le ténor et le baryton.
Il y a quelques éléments qui seront conservés sur le Balanced Action, provenant des modèles antérieurs à 1936 et seront modifiés sur le Super Balanced Action et le Mark VI. Par exemple :
9. La plaque de pouce et la clé d'octave :  pas très pratique.

Plaque de pouce et clé d'octave d'un BA Selmer de 1945. (Vichy)
10. La clé de bocal qui évoluera vers une clé au logo Selmer plus visible.

11. Un repose pouce minuscule assez fatiguant pour la tenue de l'instrument remplacé dès l'apparition des modèles SBA et  Mark VI par un  repose pouce beaucoup plus large.
Repose pouce d'un ténor BA Selmer de 1944.
(Vichy)
12. Des systèmes d'entraînement des clés assez archaïques sur certaines clés, remplacés par des systèmes plus efficaces et élaborés pour les modèles SBA et MVI.


Ténor BA Selmer de 1945. (Vichy)
Ce saxophone connu un grand succès au niveau des saxophonistes de Jazz de l'époque ; la seconde guerre bloqua son expansion. Entre 1936 et 1947 environ 14000 saxophones furent fabriqués. Gérard Badini lors de son interview réalisé par José Daniel Touroude pour notre article sur "les saxophones de légendes" (Pour lire cet article cliquez sur ce lien
"...nous disait que lors des première années du modèle Mark VI vers 1954 beaucoup de musiciens ne voulaient pas abandonner leur bon vieux Balanced", pour le remplacer par un MVI". En revanche Coleman Hawkins joua de 1936 à 1954 sur BA avant de passer dès sa sortie sur MVI.
Numérotation des Saxophones BA Selmer. (source saxpics)
Guitare Selmer.

A notre grand étonnement ce catalogue Selmer de 1936 comporte un chapitre guitares. 
Quatre modèles de guitare Selmer.
(Catalogue Selmer 1936- col. RP)
Tout commence par la rencontre de Ben DAVIS qui dirige la succursale Selmer à Londres (12 Moor Street Cambridge Circus- London) et de Mario MACCAFERI (1900-1993) jeune guitariste classique  qui avait également étudié la lutherie en Italie son pays d'origine. Installé à Londres en 1929 et souhaitant construire une guitare plus sonore, il dépose en 1931 un brevet pour un résonateur original qui augmentait le son.
Ben DAVIS met immédiatement en contact le luthier italien et Henri Selmer qui donne carte blanche à M. Maccaferi pour créer un atelier de construction de guitares dans les usines de Mantes la Ville.
Mario Maccaferi (1900-1993)
Source François Charle.
Un modèle de guitare classique sort très rapidement de ces nouveaux ateliers. Ben Davis insiste rapidement pour obtenir du luthier créateur un modèle à cordes métalliques. Dès 1932 deux types de guitares étaient proposées : cordes en boyau et cordes métalliques. Trois modèles pour cordes en boyau étaient fabriqués : "Classique", "Espagnol", "Concert". M. Maccaferi avait particulièrement travaillé sur ce dernier modèle : "Caisse volumineuse qui renfermait le résonateur, un pan coupé très novateur pour l'époque et une "Grande bouche en D" qui permettait au son de sortir du résonateur  et de la caisse". (Voir la photo ci-dessus)
Les modèles pour cordes métalliques étaient plus nombreux, mais c'est le modèle "Orchestre" ou "Jazz" qui rencontra le plus grand succès, modèle adopté par Django REINHARDT.
Une pépite Coleman Hawkins avec son Balanced
Selmer, Django avec sa Guitare Selmer et Stéphane 
Grapelli au piano. Stardust enregistré en 1935

En 1933 la production est opérationnelle et M. Maccaferi souhaite reprendre sa vie de concertiste. Il quitte la maison Selmer en 1934 pour un problème rencontré au niveau de son contrat. La production continue mais le résonateur est rapidement abandonné. C'est en 1935 qu'apparaissent les premiers modèles avec une "petite bouche ovale". C'est ce modèle qui continuera d'être fabriqué jusqu'en 1952, date de fermeture de l'atelier guitare. Au total Selmer a produit 900 guitares.
Bien choisir sa guitare pour le jazz manouche.
Django par M. Sinier
Source François Charle.
Grande Bouche en D d'un modèle Hawaïen.
Guitare N° 503 à petite bouche ovale  ayant appartenue
à Django Reinhard. Source musée de la musique
de Paris.
Si vous vous intéressez à cette belle histoire nous vous recommandons le livre de François Charle. Le site de François Charle

Et si vous voulez en savoir plus sur Mario Maccaferi : Sur le site Ukulélé




samedi 3 décembre 2016

"Louis Julien JAULIN (1814-1892) inventeur du panorgue-piano et de l'harmonicor". "Louis Julien JAULIN (1814-1892) inventor of the panorgue-piano and the harmonicor".

Lors de la prochaine vente d'instruments de musique du 10 décembre à Vichy, ce drôle d'instrument "Harmonicor d'un certain JAULIN" est proposé. J'ai voulu en savoir plus sur ce facteur du XIXième siècle.
Harmonicor de JAULIN proposé à la vente de Vichy.

Louis Julien JAULIN est né à Paris en 1814. Son nom apparaît pour la première fois dans l'annuaire Bottin en 1846 : "Jaulin (Julien) Harmoniums et jeux d'anches, 59 Fg Saint Martin". Il obtient le 5 février 1847 un brevet de 15 ans pour son Panorgue Piano. En fait 

" Harmonium associé à un piano, l'harmonium est sous le clavier du piano, et son clavier peut-être accouplé au piano par le moyen de pilotes venant trouver la touche du piano. Il imagine, pour maintenir l'accord du piano et de l'harmonium, d'accorder celui-ci, l'anche étant pourvu d'une rasette. Ce facteur se préoccupe de l'harmonisation des anches et de l'égalisation de leur sensibilité par un mode de fabrication spécial, déterminant l'épaisseur de la lame non pas à la main, mais au moyen d'une sorte de machine à raboter". (Source Wikia Harmonium)
Shéma de son brevet de 1847 où l'on distingue l'harmonium couplé
au clavier du piano.

Comme il est précisé dans l'article de Wikia harmonium, pour harmoniser ses anches non pas à la main mais à l'aide d'une machine de son invention, il obtient, le 3 novembre 1854 un brevet de 15 ans pour :
Cliquez sur le document pour l'agrandir.
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Cette invention fut bien acceuillie et saluée aux expositions de Londres de Paris de 1849 et de 1851.
Annonce publicitaire de 1854.
Il est à noter que Victor MUSTEL (1815-1890), célèbre facteur d'orgues a travaillé avec Louis Julien JAULIN de 1844 à 1853.
Portrait de Victor MUSTEL.

Louis Julien JAULIN avait épousé à Paris vers 1843 Marie Emilie BECKMANN (1819-1890) et avait eu au moins trois enfants dont Emile Achille Louis JAULIN (1851-1918) qui sera conducteur de travaux aux ponts et chaussées

Nous n'avons trouvé qu'un exemple d'un panorgue piano vendu par Wheastone & Co à Londres. (Source Squeezytunes )






Le 16 décembre il obtient un nouveau brevet de 15 ans pour "un instrument à clavier transpositeur  dit orgue vertical à répercussion". Il réutilise son système de soufflerie verticale qu'il "emploie avec avantage dans son panorgue". 

Shéma du Brevet de 1854.
Bottin 1854.

Les affaires n'étaient sans doute guère florissantes et les dépenses  de recherches et de brevets étant de plus en plus importantes, notre intrépide inventeur est déclaré en état de faillite le 8 octobre 1857. Face à un passif de 12001 frs, il ne peut répondre que par un actif de 2435 frs.
Les créanciers de Jaulin lors de sa faillite.
Cliquez sur le document pour le lire en détails.
Dans ses plus importants créanciers se trouvent : Alexandre Charles DEBAIN inventeur de l'harmonium (pour 2599 frs).
Alexandre François DEBAIN (1809-1877)

Mais aussi ALEXANDRE père et fils (pour 4200 frs).
Établissements ALEXANDRE père et fils vers 1855.
Signature de Louis Julien JAULIN en 1857.
L'inventaire de l'appartement du 11 rue d'Albouy dans le 10 ème arrondissement, près du boulevard Magenta eut lieu le 10 octobre 1857. C'était un appartement de 3 pièces, cuisine situé au premier étage où il habitait avec son épouse et ses deux enfants, Cécile née en 1843 et Émile en 1851. Mais pour les âmes sensibles, on peut lire dans cet inventaire : "Un lit en fer garni de deux matelas, une paire de draps, un traversin, deux oreillers et une couverture le tout servant de couches des enfants du failli ne sont ici décrits que pour mémoire". Ouf....ils pourront dormir dans leurs couches.
Il faut croire que JAULIN sous traitait la fabrication de ses instruments à des ouvriers extérieurs et à ALEXANDRE père et fils, car il n'y avait pas d'atelier dans son appartement et pas de marchandises. Des livres de comptes font état de salaires versés à des ouvriers et il existait un livre sur les comptes et opérations faites entre Jaulin et Alexandre.

Malgré cette faillite il continue son activité tout d'abord au 78 rue du Faubourg Saint Martin, on le retrouve en 1870 " 46 rue Lancry J. Jaulin fabricant d'instruments de musique", puis au N°25 rue du Château d'eau. Il continue de déposer des brevets ou des additions sur ses brevets précédents." Il réalise notamment des études sur les différents métaux et alliages,  les différentes formes et dimensions et développe ainsi une classification des timbres, imitant la flûte, le hautbois, la clarinette ou le cor anglais, ses anches donnent aux harmoniums, puis aux accordéons, leurs premiers registres de jeux variés, faisant selon Fétis dans son rapport sur l'exposition universelle, disparaître de ces instruments leur monotonie"(Source Jean Michel Renard).  C'est en 1861 qu'il invente son harmonicor qui rencontrera un certain succès.

Un très bel exemplaire d'harmonicor présenté dans sa boite
sur le site de Jean Michel RENARD;
Il exploitera, sans doute aidé de son fils Émile, ce brevet jusqu'à sa mort qui intervient le 11 janvier 1892 au 27 rue du Château d'eau.
Annonce parue en 1898 dans la gazette.

Article publicitaire publié en 1896.


Comme nous l'avons fait pour le dupinophone avec le concours de José Daniel TOUROUDE, nous voudrions faire redécouvrir l'harmonicor........