lundi 13 novembre 2017

Ténora et Tible : deux instruments catalans à vent méconnus. Tenora and Tible: two Catalan unknown wind instruments.

par José- Daniel Touroude.

Notre blog est principalement axé sur les instruments à vent et comme la Catalogne est sous les feux de l’actualité, nous avons eu envie d’analyser deux instruments régionaux typiques que vous avez sans doute entendu mais qui sont assez méconnus.
J’ai eu la chance de rencontrer récemment lors du séminaire résidentiel de l’ACIMV (Synthése des trois jours ACIMV) la compositrice catalane Nuria Bonet spécialiste de ces instruments, ce qui m’a donné l’idée de faire un petit article sur notre blog. Ces instruments sont la TÉNORA et le TIBLE.


































A gauche la Ténora, à droite le Tible. 



Description : La TÉNORA et le  TIBLE catalans sont le plus souvent en bois de jujubier (utilisé en ébénisterie appelé «acajou d’Afrique» produisant des fruits savoureux jujubes ou «dattes chinoises» qui poussent dans les pays tropicaux mais aussi en Catalogne). La TÉNORA et le TIBLE français sont fabriqués eux, en buis puis en ébène (comme les clarinettes). La TÉNORA est en si bémol a une longueur d’environ 86 cm et un pavillon métallique qui réduit un peu son poids et comme le hautbois, il se joue avec une anche double. Le TIBLE est en Fa et fait environ 55 cm avec un pavillon en bois qui comporte souvent quatre trous de résonance et reste un des rares hautbois traditionnels chromatiques. Il produit un son plus aigu que la ténora.
Origine :
Ces instruments régionaux de la Catalogne des deux côtés des Pyrénées proviennent d’un vieil instrument qui a fait les beaux jours du moyen âge et qui a perduré dans de nombreux pays en évoluant : il s’agit de la famille des chalémies.

Ces instruments à anche double vont aussi bien donner notamment la Ghaïta nord africaine (que l’on trouve encore dans la Fantasia vu sa sonorité puissante), que le hautbois en Europe.
Utilisation :
La TÉNORA et le TIBLE sont des instruments incontournables dans un type d’orchestre particulier : la Cobla.  Celle ci se compose de 11 musiciens dont les instruments sont en Sib, Fa, et Ut. Le Flaviol (flûte à bec en Fa, très aigu proche du Galoubet provençal qui se joue de la main gauche alors que la droite tape sur le tambourin). Le tambourin donne le rythme et avec le flaviol, ils débutent très souvent la sardane. Les Tibles I et II et les Ténoras I et II. Les Trompettes I et II, (cornets au départ remplacés par la trompette à pistons en Sib plus sonores car la cobla joue en plein air). Le Trombone (à pistons en Ut). Les Fiscorn I et II (bugles à 3 pistons rotatifs en Ut  font les mélodies et les basses du rythme). La Contrebasse (à 3 cordes accordées en quarte font les pizzicati en basses) . 

Sardane de Ricard Viladesau (appelé le prince de la ténora ! 
à qui appartenait la ténora de Paul Carré. 

La Cobla accompagne et  joue pratiquement que pour les danseurs de sardanes. La sardane fait partie des danses anciennes en cercle fermé (affectionnée par  des Ibères selon les grecs anciens) qui se danse alternant souvent hommes et femmes et qui a  été popularisée et normalisée par Pep Ventura . Elle est composée d’une alternance d’une partie de pas courts et une autre de pas longs. On danse la sardane à chaque occasion et fêtes et a été interdite sous Franco ! cette danse est devenue alors une manifestation de la résistance identitaire catalane républicaine. Elle reste très vivante et il y a une multitude de compositions de sardanes et on en compose toujours actuellement.   On en trouve parfois dans la musique classique comme par exemple dans un opéra (héliogabale) de Déodat de Séverac ou l’oratorio « la crèche » de Pablo Casals.  
Histoire :
Au 19ème siècle tous les instruments à vent (flûte, clarinette, hautbois, basson) évoluent avec un nombre de trous et de clés supplémentaires afin de jouer la musique romantique nécessitant plus de chromatismes et de virtuosité. Actuellement les ténoras ont souvent 13 clés. En Catalogne les chalémies vont donc suivre le mouvement et se doter de clés également donnant la TÉNORA et le TIBLE modernes. La TÉNORA et le TIBLE sont récents et sont dotées de clés vers la moitié du 19ème siècle.
Originaires de Perpignan vers la moitié du 19ème siècle, ces instruments ont été perfectionnés par Andreu TORON (1815-1886) qui conçoit La TÉNORA comme un instrument militaire au son puissant qu’il appelle hautbois ténor. Il n’aura pas beaucoup de succès. Par contre le clarinettiste catalan Pep Ventura (1817-1875) s’empare de l’instrument de TORON et en devient un virtuose dans son orchestre à Figueres, de l’autre côté des Pyrénées. Par imitation, il fera de nombreux adeptes dans les coblas catalanes pour jouer des sardanes. Il aura une grande influence sur cette musique et sur cette danse qui deviendront emblématiques de la Catalogne. Actuellement il existe plus de 150 coblas en Catalogne et une dizaine en France (Roussillon). Avec l’influence de Ventura et de ses émules, La TÉNORA au son chaud et puissant, plus lyrique devint souvent l’instrument soliste de la cobla au détriment du TIBLE.
Pep Ventura.
Qui a fabriqué les TÉNORAS et TIBLES ?
C’est là que les recherches universitaires de Nuria de répertorier et d’analyser tous les tenoras et tibles des musées et des collections privées sont essentielles. Logiquement les facteurs de ces instruments sont catalans (catalogne espagnole et catalogne française notamment du Roussillon) avec des constructions similaires mais dans les  25 ténoras recensées dans un article du Galpin society journal, on note que ¼ de ces instruments typiquement catalans étaient produits à la Couture-Boussey ! (Normandie) haut lieu de la facture d’instruments à vent. Ainsi les TÉNORAS françaises sont des instruments construits par les facteurs Jérome Thibouville-Lamy, Thibouville Aîné et Bercioux . On les retrouve au Musée des Instruments (Céret), au Palais Lascaris (Nice), au Musée Casa Pairal (Perpignan), au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Marseille) et au Musée des Instruments à vent (La Couture-Boussey) mais aussi dans des collections privées ( F. Camboulive, B. Kampman…) indique Nuria. Dans la littérature à ce sujet, seul le ténoriste Albert Manyach en parle (Notice sur les instruments catalans) «Les instruments français ont un clétage supérieur mais un son inférieur à cause de leur bois. En effet, ces instruments sont en ébène au lieu du jujube utilisé en Catalogne. Ils ont souvent moins de clés, par exemple souvent sans clé d’octave qui cause des problèmes d’intonation.» En analysant les collections privées de notre association (ACIMV), Nuria a pu découvrir des nouvelles Ténoras mais surtout des Tibles français inconnus et particuliers qui vont dynamiser ses recherches…. 

































Tible (gauche) et Ténora (droite) français (Collection Thicam)



A suivre et pour vos vacances dans le sud, apprenez à danser la sardane !

De Nuria Bonet : « j’ai écrit il y a quelques mois une pièce pour percussion qui reprend le thème de sardana le plus fameux (à mon avis) «  La Santa Espina ». La pièce est un ‘remix’ de thème, le titre est donc un anagramme de la Santa Espina, Satan Nasal Pie.






1 commentaire:

  1. Bonne idée que cet article. Je ne sais si vous vous y êtes référé mais il me semble indispensable de citer l'ouvrage de référence d'Enric Frances "Andreu Toron i la tenora 1815-1886 - Historia de la musica dels joglars a Catalunya-Nord al segle XIX" édition bilingue catalan-français, IMPEM/FSR Cotlliure 1986.
    JL Matte

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